Sommaire :
- Petite introduction à la Fantasy
- L'univers des Crépusculaires (M. Gaborit)
- Interview de Mathieu Gaborit
- Bref voyage en Terre du Milieu (Tolkien)
- La magie dans l'univers de Tolkien
- Les Princes d'Ambre (Zelazny)
- Kinem'Art : la Fantasy fait son cinéma
- Brumes Divines : La Quête de l'Oiseau du Temps
- Ignis Fatuus : Berthe de la Roche
- Draconis Antrum : interview de Covenant
- poèmes et nouvelles fantastiques
L'article concernant Ambre : Les Princes d'Ambre (Zelazny), par Florian Lazaro
Sous la protection de la Licorne et du Serpent...
Ambre... seul monde réel. Tous les autres ne sont que ses ombres. Notre Terre n'est qu'un lointain reflet de la vérité, de l'ultime royaume. Ambre... auquel l'accès est réservé à quelques élus, princes et princesses d'une lignée unique. Ambre... sous la protection de la Licorne, emblème de l'ordre et déesse suprême. Ambre... qui n'a d'égal que les Cours du Chaos, son reflet maléfique.
Sur cet échiquier en mouvement perpétuel, une illustre famille se dispute le trône du royaume, laissé vide après la disparition du roi Obéron. Seul un héritier de sexe masculin peut revendiquer cette place et le droit d'aînesse n'est qu'un obstacle minime. Les complots font rage. "Traître, nous le sommes tous dans la famille."
Roger Zelazny : Ambre pour toujours
Comment parler de ce cycle merveilleux sans mentionner son auteur de génie ? Né en 1937 et décédé en 1995, alors que la série des Princes d'Ambre n'était pas achevée, Zelazny était une des figures de proue de la nouvelle vague de science-fiction au milieu des années soixante. Il fut récompensé plusieurs fois par le prix Hugo et le prix Nebulat pour ses romans et nouvelles, dont "Une rose pour l'Ecclésiaste" (1967).
Il était également l'ancien secrétaire général de l'Association des Ecrivains de science-fiction des Etats-Unis. La plus grande partie des ses écrits repose sur une exploitation et une analyse fine des grandes mythologies de l'humanité. En effet, il s'est inspiré des légendes hindoues dans "Seigneur de lumière" (1967), des mythes égyptiens dans "Royaume d'ombre et de lumière" (1969), d'histoires indiennes dans "L'oeil de chat" et de croyances para-celtiques pour le "Cycle des Princes d'Ambre" (1970 à 1991).
Son oeuvre fut prolifique et Zelazny était considéré comme un auteur versatile, ce que beaucoup de lecteurs lui reprochaient. Malgré cela, il a touché un public très large. Ses sujets favoris étaient l'immortalité, l'accession à la divinité ou encore la croissance psychologique du héros à travers ses quêtes.
Avec le "Cycle des Princes d'Ambre", l'auteur américain a laissé son empreinte dans le monde de l'Heroic Fantasy. En effet, chevalerie et sorcellerie se côtoient dans cette ambiance subtile de complots, de batailles, de conquête du trône et d'inconnu.
De l'autre côté du miroir
Le Cycle des Princes d'Ambre est une mine d'or pour tout lecteur. On y trouve de belles références historiques, puisque chaque prince et chaque princesse ont une longévité presque infinie. Par exemple, un des héros raconte sa rencontre avec Sigmund Freud et les débats, qui animaient leurs discussions. L'humour, l'ambiance palpable et la soif de connaître la suite sont des armes dont Zelazny se sert sans hésiter.
En fait, cette série est double. Les cinq premiers volumes (Les neuf princes d'Ambre, Les fusils d'Avalon, Le signe de la licorne, La main d'Obéron et Les Cours du Chaos) retracent les aventures de Corwin, fils d'Obéron et prétendant au trône vacant. Dans le premier opus, il se réveille, complètement amnésique, dans un institut psychiatrique, situé dans notre monde. Il ne possède que le nom de sa soeur pour seul indice. C'est donc avec lui et en même temps que lui que l'on découvre l'univers d'Ambre et celui des Cours du Chaos, seuls mondes réels opposés l'un à l'autre.
La deuxième partie, composée aussi de cinq ouvrages (Les atouts de la vengeance, Le sang d'Ambre, Le signe du Chaos, Chevalier des ombres et Prince du Chaos), relate les péripéties de Merlin, fils de Corwin d'Ambre et de Dara du Chaos. Son origine seule indique déjà le fil conducteur de l'histoire. Déchiré entre sa mère, sorcière des Cours, et son père, champion d'Ambre, Merlin est propulsé au sein d'un conflit entre le Chaos et l'Ordre, dont il est le principal centre d'intérêt. Plus magicien que combattant, il mène sa propre quête vers la vérité et se doit de choisir un camp.
Le contenu entier du cycle est trop important pour être résumé et les enchevêtrements de scénarios seraient trop difficiles à comprendre. Cependant, il est utile et intéressant d'énoncer des concepts importants et inséparables du monde de Roger Zelazny.
Tout d'abord, il faut préciser que Ambre et le Chaos sont les deux mondes réels, le premier où flotte l'étendard de la Licorne, symbole de l'Ordre, et le second où le Serpent est l'emblème du désordre. A côté, il y a les ombres, reflets proches ou éloignés, tous emprunts d'un mélange déséquilibré entre ces deux forces (notre Terre en fait partie). Les princes et princesses d'Ambre ont la faculté de voyager à travers Ombre (l'ensemble des ombres), qu'ils déforment mentalement au fur et à mesure de leur progression, jusqu'à la destination désirée. Cette idée reflète la profondeur d'esprit de Zelazny et son imagination fertile. L'auteur américain aurait écrit certains passages sous l'effet de drogues, provoquant des hallucinations qu'il aurait retranscrites sur papier, ce qui permet de comprendre mieux certaines scènes complètement folles.
Deux éléments importants et extrêmement liés sont la Marelle et le Logrus. Le premier, la Marelle, correspond, dans l'idée, à celle à laquelle les enfants jouent dans les cours de récréation. C'est une sorte de forme géométrique tracée sur le sol et il faut la parcourir du début à la fin. Il s'agit d'une épreuve d'initiation difficile physiquement et mentalement et celui qui la traverse doit franchir plusieurs voiles de puissances croissantes sans faillir. Seules les personnes dotées du sang royal d'Ambre sont capables d'effectuer le parcours. Une fois celui-ci achevé, la Marelle peut téléporter la personne où elle le désire en Ombre et Ambre. Elle confère également leurs pouvoirs aux Princes, lorsqu'ils la suivent pour la première fois (longévité, faculté de modeler Ombre et d'y circuler, force accrue, intelligence hors norme…). C'est en franchissant la Marelle que Corwin recouvre la mémoire (Les neuf princes d'Ambre, 1970).
Le second, le Logrus, est l'équivalent de la Marelle dans les Cours du Chaos. Il semble cependant doué de pouvoirs supplémentaires. Merlin, héros de la seconde série, s'en sert pour découvrir des objets magiques ou le passage d'êtres de même nature. Il s'agit également d'une arme utilisée pour la sorcellerie. Merlin, né des deux sangs, est le seul capable de manipuler ces deux instruments, mis à part Dworkin, dont l'origine est floue, mais qui semblerait être le créateur d'Ambre et de son jumeau chaotique et le dessinateur de la Marelle originelle.
La Marelle possède une particularité intéressante. En effet, elle n'est pas unique. Elle existe aussi en Rebma, cité inverse d'Ambre, recouverte par les eaux et gouvernée par Llewella, princesse et fille d'Obéron. Elle est présente aussi dans le Tir-Na Nog'th, la cité céleste qui n'apparaît qu'à la pleine lune et dont on peut ramener des choses du futur. Corwin en reviendra avec un bras mécanique pour son frère Bénédict. Une autre Marelle sera même tracée par Corwin, de peur que son père Obéron soit incapable de réparer l'originelle, souillée par les agissements du Chaos.
Le "tarot" d'Ambre est également une idée parmi les plus originales de Zelazny. En effet, chaque membre de la famille royale possède un jeu d'atouts. D'un côté, le motif général est la Licorne, représentative de l'Ordre. De l'autre, elles sont ornées soit de gravures de lieux, soit des effigies des princes, des princesses et autres parents d'Ambre. Il ne s'agit pas de simples cartes pour passer le temps. En effet, il y a une conception magique dans ces petites oeuvres d'art. En effet, si l'on imagine que, sur un atout, est dessiné un désert aride et que l'on concentre toute sa force spirituelle sur cette image, une sorte de contact va s'établir. La carte n'est alors plus froide au toucher, les motifs et les couleurs s'animent de mille feux. L'ambiance se crée, on commence à sentir la chaleur étouffante du soleil, le sable fouette les yeux. Il suffit alors de se glisser mentalement à travers la carte pour se trouver dans l'endroit qu'elle représente.
Lorsqu'une personne y est dessinée, l'atout sert de "vidéophone télétransporteur". En effet, on peut parler à l'autre et le voir, une fois le contact établi ; on peut se transférer dans le lieu où l'autre se trouve et on peut s'échanger des choses, comme si on le faisait de main à main. Un contact d'atout peut aussi être refusé, comme un téléphone qu'on n'a pas envie de décrocher. Ces cartes ont été dessinées, gravées par Dworkin, à la demande de son fils Obéron. Mais il n'est pas le seul capable de le faire. Merlin, par exemple, en a la faculté, ainsi que Brand, frère de Corwin. Ce tarot est donc un instrument dont aucun Prince d'Ambre ne se sépare. D'ailleurs, les héros ont été sauvés plusieurs fois, grâce à son utilisation. Mais, hélas, à cause de ces cartes, beaucoup ont aussi péri, car il s'agit d'un outil utile pour comploter.
Les références, au sein du Cycle des Princes d'Ambre, sont multiples et elles traduisent merveilleusement bien la grosse culture de l'auteur américain. Dans deux tomes du cycle de Merlin, Le signe du Chaos (1987) et Chevalier des ombres (1989), Roger Zelazny fait un clin d'oeil plein d'humour au monde fantastique d'Alice au pays des merveilles, de Lewis Caroll. En effet, notre héros se retrouve dans un bar, en un endroit inconnu. A l'intérieur de l'établissement, Merlin discute avec un chat étrange, qui sourit, lui parle par énigmes et disparaît sans cesse. Il s'agit du même animal qu'Alice rencontre dans la forêt magique.
Zelazny étale également dans son récit beaucoup d'éléments tirés des chroniques "arthuriennes" et du monde des Chevaliers de la Table Ronde. En effet, Merlin, fils de Corwin, porte le même nom que le puissant sorcier au service d'Arthur, symbole d'une grande puissance magique. L'auteur américain utilise aussi le nom d'Avalon. On le retrouve d'ailleurs dans le titre du second tome du cycle : Les fusils d'Avalon (1972). Avalon était l'île sacrée des prêtresses, dans les Chevaliers de la Table Ronde, où les femmes célébraient le culte de la grande déesse, dirigé par Viviane et dont Morgane-la-fée était issue. On s'aperçoit ici que Zelazny a la même culture celtique que des auteurs comme Marion Zimmer Bradley (Les dames du lac, 1982). Un dernier élément que l'on peut mettre en parallèle avec les légendes "arthuriennes" est le fait que les épées portent aussi des noms. En effet, la lame de Corwin s'appelle Grayswandir, comme celle d'Arthur Excalibur. Bien sûr, il s'agit ici d'une chose que l'on retrouve fréquemment dans le monde de l'Heroic Fantasy. En effet, cette idée est aussi présente chez Michael Moorcock, dans le Cycle d'Elric (son épée porte le doux sobriquet de Stormbringer).
Un grand thème, présent dans toute l'oeuvre de l'auteur américain, est la relation entre les personnages et Zelazny lui-même. Par exemple, dans La main d'Obéron (1976), Corwin marche à travers les couloirs d'un château, où il rencontre et salue un garde.
"Bonsoir, Seigneur Corwin, lança la silhouette blême et décharnée qui souriait autour de sa pipe, adossée à un casier.
Bonsoir, Roger. Comment va l'enfer ?
De temps en temps, un rat, une chauve-souris, une araignée. A part cela, rien ne bouge. C'est calme.
Tu aimes ce poste ?"
Il hocha la tête.
"Je suis en train d'écrire un conte philosophique avec des éléments d'horreur et de morbidité ; je travaille sur ces passages-là quand je suis ici." (p. 69)
Ce passage résume bien la capacité de Zelazny à s'investir lui-même, dans ses travaux, ainsi que le ton général de son humour.
A travers les ombres...
Roger Zelazny n'aura donc pas achevé le Cycle des Princes d'Ambre car il est décédé prématurément en 1995. En effet, il avait dans l'esprit d'écrire une troisième série, après les aventures de Merlin. Il est vrai que, lorsqu'on termine le dernier tome, Prince du Chaos (1991), beaucoup de questions restent sans réponse. Certains reprochaient à l'auteur américain d'avoir écrit le cycle de Merlin, prétextant qu'il gâchait celui de Corwin. D'autres l'en ont félicité, car l'aspect de la sorcellerie était exploité avec brio, donnant à Ambre une dimension nouvelle et enrichissante.
Mais tous, sans exception, s'accordaient pour dire que Zelazny avait une plume excellente.
L'ambiance et les personnages d'Ambre ont fait plus d'un adepte. Plusieurs produits en sont dérivés. Le tarot des princes, gravé de la main de Dworkin, existe bel et bien et seulement quelques-uns le possèdent. Les illustrations sont faites de la main de Florence Magnin, dessinatrice également des couvertures du cycle, aux éditions Denoël. En parcourant les cartes du regard, il est impossible de ne pas penser aux aventures de cette famille prestigieuse. Bien sûr, il n'y a que ceux du sang d'Ambre qui sont capables de les utiliser. Ces atouts servent également de jeu de rôle sans dé, appelé Le jeu de la Marelle, qu'énormément de gens pratiquent. En effet, lorsqu'on tape le mot "Ambre", dans un moteur de recherche sur Internet, des centaines de sites de jeu de rôle sur ce thème sont affichés, tous liés les uns aux autres, mais arborant des présentations nettement différentes. Bref, le monde de Roger Zelazny a créé un véritable culte.
Voilà donc une partie des secrets du cycle de Merlin et de celui de Corwin. Si notre Terre n'est qu'une ombre parmi les autres et qu'un jour, surgi de nulle part, un homme, vêtu de riches vêtements d'époque, portant une épée divine à ses côtés et manipulant un jeu de cartes étranges, nous invite à le suivre, pour que les mortels découvrent quel est le vrai monde, nous devrions peut-être sauter sur l'occasion et nous laisser transporter, par atout ou à travers les ombres déformées, jusqu'à une contrée magique et dangereuse: Ambre.