Première Eternité (1)
Au commencement était le Chaos, grouillant de possibilités, mais sans forme et sans nom. Cet état dura pendant une éternité, totalement objective puisque personne n'était là pour la contempler. Puis, peu à peu, certaines de ces possibilités devinrent réalités. C'est ainsi que naquirent les premières consciences, les premières parties du Chaos capables d'appréhender leur propre existence: les Anciennes Puissances.
Seconde Eternité (Aleph 0)
Elles n'avaient guère de contrôle que sur elles-mêmes, et sur ce qui leur était semblable. Elles comprirent néanmoins que, dans l'immense océan d'incertitude absolue qui les entourait, elles ne pouvaient espérer survivre qu'en se développant. Car toute stagnation les voyait se faire ronger par les forces entropiques de leur mère le Chaos.
Leur "Intelligence" était cependant très primaire, et chacune ne put se développer que dans une seule "direction". En fait, leur développement en soi ne fut pas simultané, mais dura lui aussi une éternité, mais cette fois-ci de leur point de vue subjectif personnel. Elles étaient seules, et ne concevaient pas qu'il puisse y en avoir d'autres. Le déclic se produisit lorsque deux d'entre-elles se rencontrèrent pour la première fois.
Troisième Eternité (Aleph 0)
Lorsque cet événement se produisit, les consciences des deux Puissances concernées firent un pas prodigieux en avant. Elles purent en effet non seulement appréhender le point de vue de l'autre, bien qu'imparfaitement et uniquement au lieu de leur "intersection", mais de plus elles savaient qu'elles n'étaient plus seules. C'est alors que commença la recherche des autres.
Petit à petit, les Anciennes Puissances se découvrirent et se connurent par le biais de leurs intersections. Et, au fur et à mesure des intersections, se créa une vaste trame, un canevas qui, peu à peu, commença à donner une Forme à une région du Chaos. C'est à l'intérieur de cette Forme que l'Univers Physique put alors commencer à exister. Mais l'aspect de la Forme elle-même restait à déterminer. Plusieurs dynamiques influencèrent le cours des choses.
Premièrement, au grès des mouvements du chaos primaire qui constituait leur environnement, les Puissances naissaient, se développaient, mais parfois aussi régressaient et disparaissaient. Deuxièmement au grès de ces mêmes mouvements, les intersections elles-mêmes apparaissaient ou disparaissaient. Et finalement, les stratégies employées par les Puissances jouèrent un rôle clef.
Parmi la multitude, douze prirent une importance particulière. Alors que la plupart ne cherchaient guère qu'à éviter de disparaître, ces douze là appliquèrent chacune une stratégie si particulière qu'elle leur valut un destin lui aussi extraordinaire.
Neuf d'entre-elles se réunirent en un vaste cercle. Leur stratégie commune visait à avoir le maximum d'intersections pour appréhender au mieux la Forme. Pour ne pas grever trop leurs facultés et pour ne pas perdre du temps à rechercher une véritable union, elles décidèrent de ne pas contacter tous les autres, mais de garder seulement le contact avec deux autres, les informations circulant de Puissance en Puissance.
Grâce à cette association, leur pouvoir commença à croître exponentiellement. C'était eux qui créaient véritablement la Forme. Naturellement, certains prirent plus d'influence que d'autres et attirèrent à eux leurs voisins immédiats, créant ainsi trois sous-groupes, les Explorateurs, les Bâtisseurs, et les Guerriers. Les Neuf sont: les Explorateurs constitués de Loup, Dauphin et Albatros, les Bâtisseurs, constitués de Singe, Corail et Hirondelle, et les Guerriers, constitué de Lion, Requin et Faucon
Une autre Puissance, arrivée trop tard pour faire partie du Cercle des Neufs, décida néanmoins de s'y joindre, mais de manière bien particulière. Le Serpent, comme il devait par la suite être appelé, créa une intersection avec chacun des Neufs, mais en se présentant à chaque fois sous un aspect différent. Ainsi, en gardant ces contacts, mais uniquement ceux là, il put être le premier à appréhender la Forme. Ce n'était pas lui qui la créait, mais c'était lui qui la connaissait le mieux, à une exception près...
La onzième Puissance majeure, celle qui devait par la suite être appelé l'Epeire, refusait tout contact avec les Neufs et plus encore avec le Serpent. Elle créait des multitudes de contacts, mais les abandonnait dès que ses "interlocuteurs" étaient approchés par l'un des Neufs. Petit à petit, elle fut repoussée, ou se réfugia, selon le point de vue pris, aux confins de la Forme. Et, ironiquement, même si elle ne connaissait rien de l'organisation de la Forme, ou de son contenu, c'est elle qui finit par la connaître le mieux.
Finalement, la douzième Puissance majeure, celle qui devait par la suite être appelée la Licorne, employa une stratégie différente. Prenant contact avec toutes les Puissances rencontrées, elle rompait immédiatement ces contacts de peur de perdre son indépendance. Au fur et à mesure, elle en vint à se faire, non pas une idée de la Forme, mais une idée de sa structure, et elle apprit surtout l'existence du Serpent lové en son centre. Mais cherchant à se rapprocher de ce centre, elle ne put bien évidemment prendre conscience de l'Epeire...
Quatrième Eternité (Aleph 1)
Pendant que le Chaos reculait, que les Puissances manoeuvraient, la Forme apparaissait de plus en plus clairement. Et en son sein, stabilisé par le canevas des lignes des puissances, l'Univers Physique pouvait enfin se développer. Dans cet environnement physique comme dans celui mystique du Chaos, seuls les plus adaptées des consciences purent se développer. C'est ainsi qu'apparurent les premiers Métamorphes, seules créatures capables de survivre dans des Ombres encore trop fragiles. Petit à petit, ils apprirent à vivre dans le plus stable des lieux, là où le Serpent s'était lové.
Ils en vinrent même à construire une civilisation, et appelèrent le centre de leur pouvoir les Cours du Chaos. Ils y développèrent des Maisons, Hendrake, Barimen, et autres, y nommèrent un Roi, Liviaren Barimen, le dotèrent d'une lignée au travers de son épouse Eudoria et de ses trois fils Suhuy, Dworkin et Varian, et se mirent à adorer le Serpent.
Mais s'ils apprirent à survivre, ils ne pouvaient encore réellement dominer leur environnement. Leur seul pouvoir constituait, pour les plus doués d'entre eux, à entrer en transe pour tenter de percevoir l'univers mystique. Une fois cette perception acquise, ils pouvaient alors négocier avec la Puissance la plus proche ou la plus accessible. Ils pouvaient alors faire avec elle un pacte, profitable aux deux. D'une part, le "Sorcier" pouvait faire appel à la Puissance pour modifier le contenu de la Forme et donc l'Univers Physique. Et d'autre part, la Puissance pouvait se servir de son "Adorateur" pour influer sur l'Univers Physique, et par-là même influer sur l'Univers Mystique et donc sur le contenu de la Forme et sur les autres Puissances. Malheureusement, ce genre de chamanisme n'était ni facile à mettre en oeuvre, ni très puissant. Et, pour finir, il n'était efficace qu'aux "alentours" de l'Ancienne Puissance contactée. De fait, il n'existait pas une Magie, mais une infinité de Magies.
Il leur manquait un outil. En les observant grandir et se développer en son sein, le Serpent en conçut un grand orgueil et un grand plaisir. Et il se mit à méditer sur les univers gigognes en train de naître. Cette méditation et le développement des Cours parut à chacun des participants longue comme une éternité.
L'Instant de la Guerre
Tout se joua en un instant, en un battement de coeur du Serpent. En un éclair, il reçut une vision puissante, si brillante qu'elle se grava à jamais sur ses yeux de braise mystique. Cette vision représentait l'unification de la créativité du Chaos et de la nécessité de l'Ordre, l'unification entre le Monde Mystique et l'Univers Physique. Elle expliquait comment d'ordonner l'Univers Physique pouvait lui permettre lui permettre d'imposer l'intérieur de la Forme et que, ce faisant, il pourrait dominer l'univers Mystique et imposer l'extérieur de la Forme qui, à son tour, contiendrait et manipulerait son contenu, l'Univers Physique. La boucle était parfaite, et lui assurait un contrôle total de la Forme.
Malheureusement pour lui, c'est à cet instant que la Licorne, qui attendait son heure, le toucha de sa Corne, comprit ses ambitions et, profitant de sa béatitude et de sa surprise, lui arracha son oeil Gauche, avant de s'enfuir.
Il ne restait plus au Serpent que son oeil Droit, celui de la créativité du Chaos et de l'Univers Mystique. Incapable de poursuivre la Licorne, car aucun de ses contacts ne pouvait lui dire où elle s'était réfugiée, il décida donc de tenter son grand oeuvre. Se servant de sa vision maintenant imparfaite comme d'un moule, et de l'Univers Physique et de ses Métamorphes comme d'une presse, il força toutes les Anciennes Puissances à se conformer à sa volonté. Toutes, mais surtout les Neuf du Cercle, furent, pliées, tordues et confinées dans ce moule. Mais à ce moule manquait la rigueur de l'Ordre, et les faisceaux des Anciennes Puissances s'y tordaient comme autant de vipères furieuses. Cette représentation de l'Univers dans son entièreté, cette formule quasi-mathématique pour comprendre la Forme de l'Univers, le Serpent en fit cadeau à ses adorateurs pour qu'ils puissent, par leur volonté, contraindre encore plus la Forme dans l'Univers Physique. Le Logrus était né, et fonctionnerait partout dans l'univers avec la même efficacité. Et toute utilisation du Logrus confirmerait la Forme de l'Univers la plus proche de la vision du Serpent.
Il est inutile de dire que les Anciennes Puissances en furent fort mécontentes. Hélas leur individualisme et leur manque de levier sur la facette physique de la Forme faisaient d'elles des outils très pratiques, mais incapables d'agir par eux-mêmes. Elles étaient devenues un réseau de lignes de puissance, une sorte de grille, sur laquelle pouvaient désormais se poser les Ombres, avec une stabilité inconnue jusque là, même si elle était loin d'être parfaite.
Les facultés magiques en furent elles-aussi fort affectées. Etant coincées dans un moule, elles étaient beaucoup plus faciles d'accès, et un seul "Sorcier" pouvait facilement agir sur telle ou telle Puissance donnée, surtout s'il se servait de sa vision du Logrus. Par contre, cet engluement gênait les Puissances, et ne leur laissait qu'un maigre pouvoir. C'est ainsi que la Magie devint plus universelle (tout au moins pour ceux qui savaient comment l'adapter finement à leurs besoins, mais aussi bien peu puissante. Et c'est aussi ainsi que le Logrus devint la meilleure manière de manipuler la Magie.
De plus, la disparition de l'oeil du Serpent laissa une cicatrice béante dans le monde physique, un Point Aveugle du Serpent: L'Abîme. Certes, celui-ci compensa avec son oeil droit, mais la dualité Création/Destruction était maintenant en place. Tout serait maintenu dans un état de flux, bien plus instable que la solution parfaite envisagée originellement.
Puis vint la création des Spikards. En effet, certaines Puissances, à cause du caractère borgne du Serpent, se trouvaient être mal contrôlées. Les plus ambitieuses d'entre-elles tentèrent donc de créer des équivalents au Logrus. Mais elles durent s'unir et leurs moyens de stabiliser les Ombres, s'ils étaient effectivement puissants, étaient une collection bizarre et hétéroclite de toutes les connexions établies empiriquement par ces Puissances. Ces moyens se matérialisèrent dans l'Univers Physique sous la forme d'anneaux en métal mat argenté ornés d'une roue aiguillée métallique rougeâtre. Grâce aux Spikards, onze "havres" d'Ombre commencèrent à s'étendre, sous la direction des onze Puissances instigatrices: Sablier, Enfant-Soleil, Robe de Nuit, Phénix, Golem, Ouragan, Tsunami, Archange, Démon, Silence et Voix.
Le Serpent n'était pas particulièrement heureux de cet état de fait, car il percevait les buts ultimes des conjurés: remplacer petit à petit la domination du Logrus par celle des Spikards, et donc secouer son joug. Malheureusement, il ne pouvait guère agir, puisque c'était là un des cas où l'utilisation de l'autre oeil aurait été nécessaire. Il dut donc se contenter d'attendre et de surveiller les conjurés.
De son côté, la Licorne essaya bien de tirer parti de l'oeil du Serpent, et de la vision qui y était inscrite, mais elle ne pouvait pas s'en servir n'étant qu'un être mystique manquant d'alliés et surtout de connaissance de l'intérieur de la Forme. Utilisant néanmoins la connaissance de l'oeil, elle put commencer à examiner le monde physique. Et c'est alors qu'elle se rendit compte de la jalousie de Dworkin Barimen vis-à-vis de son père Liviaren, mais surtout de son frère aîné Suhuy, destiné à devenir maître du Logrus sans que lui-même ne puisse jamais y avoir accès. De dépit, Dworkin s'était enfui, se réfugiant sur une petite île soudainement apparue uniquement pour son bénéfice.
C'était le fait de la Licorne, qui, au prix d'un immense effort, réussit à apparaître devant lui pour lui proposer un marché: devenir son agent et en échange créer un nouveau pouvoir, aussi puissant que celui du Logrus. Dworkin ne pensait alors pas que le Serpent puisse être vaincu. La Licorne lui conseilla donc d'aller méditer sur l'Abîme et sur sa signification. N'ayant rien à perdre, Dworkin s'y rendit, et en revint convaincu. Il avait compris que le Serpent pouvait être vaincu, mais il avait surtout compris que la Licorne avait réellement besoin de lui. C'est pourquoi il négocia mieux que ne l'avait fait son père avec le Serpent... Et il exigea d'avoir sa propre lignée, une lignée plus proche du pouvoir que celle du Chaos, une lignée née de lui-même et de son alliée la Licorne. Et c'est ainsi que naquit Obéron.
Pendant ce temps là, Dworkin s'était préparé et avait investigué les pouvoirs de l'oeil du Serpent. Et finalement, assisté de la Licorne, il traça la Marelle. Cet Artefact est, comme le Logrus, une sorte de formule quasi-mathématique pour comprendre l'Univers Physique et y imposer sa volonté au travers du tissu sous-jacent des Anciennes Puissances. Mais là où le Logrus est adaptable mais peu résistant, la Marelle est intransigeante et forte. Elle représente la vision ordonnée de la Forme, celle qui permet de créer un Univers Physique stable et durable.
La Création de la Marelle eut un effet désastreux sur la Forme elle-même. Déjà assujetties de manière lâche, les Anciennes Puissances se rebellèrent et échappèrent un instant à l'emprise du Logrus. Elles déchiquetèrent Liviaren Barimen qui tentait vainement de les retenir et se jetèrent sur la Licorne, qu'elles pouvaient atteindre maintenant que cette dernière s'était révélée à elles en tentant de les lier. Cependant, incapables de travailler de concert, elles se saisirent chacune d'un morceau et tentèrent de l'attirer chacune à elle. Les plus rapides, car les plus puissantes, furent les Neuf. La Licorne, mais aussi l'oeil, la Marelle, Dworkin et Obéron, qui lui étaient indissociablement liés furent happés et déchirés en neuf, prêts à être de nouveau dilacérés par les Puissances suivantes, plus faibles mais innombrables.
C'est alors qu'intervint le Serpent. A son grand dam, il ne pouvait laisser la Licorne se faire complètement déchiqueter. Il ne pouvait même pas laisser les neufs profiter de leur victoire, car ils auraient alors pu intégrer au moins une des facettes de son oeil, se libérer de l'emprise du Logrus et peut être même lier le Serpent lui-même. C'est pourquoi, presque à regret, le Serpent renouvela le pacte fait avec Liviaren avec son premier fils Suhuy. A l'aide de la vision de l'oeil Droit, il restaurèrent le Logrus et lièrent de nouveau les Neufs et leurs cohortes.
Une fois l'ordre rétabli, le Serpent contempla son oeuvre, et il rit. Car la première scission de la Licorne avait laissé des traces. Il y avait maintenant 9 Licornes, mais aussi 9 Yeux, 9 Dworkin et 9 Obérons. Chacune des Réalités figées par les 9 Marelles étaient basées sur le canevas issu d'une des neuf puissances du Cercle et de ses contacts, et elles n'avaient aucune liaison entre-elles. Et, ce qui amusa le plus le Serpent, c'était que chacune des Licornes était persuadée d'être la seule et unique Licorne. Le Serpent profita néanmoins de la situation pour tenter de régler le problème des Spikards. Les Puissances qui les contrôlaient n'avaient jamais réussi à s'accorder entre elles et à présenter une menace digne de ce nom. Il valait donc mieux les laisser ensemble, de manière à ce qu'elles puissent continuer à se disputer mais aussi de manière à ce qu'elles puissent être mieux surveillées. Les séparer aurait pu faire courir le risque de voir d'autres Puissances adhérer à leur cause ou copier leurs méthodes, ce qui aurait put être dangereux. Les onze conjurés furent donc regroupés dans la Réalité défendue par une des plus féroces Puissances parmi les Neufs, celle du Lion. Les Onze furent donc confinées, mais les pouvoirs des Spikards restaient, et certaines connexions survécurent à la mise en pièces de la Forme. C'est pourquoi les Spikards sont encore des moyens de contacter des Puissances au travers des barrières des Réalités.
Suhuy fut apparemment le seul à comprendre la situation, au travers de son lien privilégié avec le Logrus. Mais tous les autres membres des Cours étaient sur le point de devenir fous, incapables de gérer simultanément neuf Réalités. Alors Suhuy pria le Serpent, espérant recevoir une réponse, une réponse qui lui permettrait de sauver son peuple. Et le Serpent la lui fournit, en permettant à la scission en neuf de se propager jusqu'au coeur des Cours, chaque membre du Cercle devenant ainsi le représentant du Serpent dans la Réalité correspondante. Finalement, il ne resta plus de non partagé que Suhuy lui-même, ainsi que le Logrus. Adossées à l'infranchissable Abîme, indivisées puisque le Serpent n'a aucun pouvoir sur elles, neuf Cours du Chaos, ancrées chacune dans une Réalité, vivaient indépendamment. Seul Suhuy savait la vérité, capable de focaliser son attention sur n'importe lequel de ces neufs Univers. Et il se mit alors à vivre en temps partagé, examinant tout à tour chacune des Réalités.
Cependant, il s'aperçut bientôt qu'il était incapable de régner sur même une seule des Réalités, pris comme il l'était par son temps partagé. Il décida donc d'abdiquer, dans chacune des Réalités, en faveur de son frère Varian, Dworkin s'étant, de par ses actes mêmes, retiré de la ligne de succession. Pour entériner définitivement son choix, Suhuy commanda même l'effacement de toute trace de son appartenance à la Maison Barimen, dont Varian restait le seul membre. Mais ce dernier était bien trop proche de Suhuy pour ne pas s'apercevoir du comportement étrange de son frère, qui passait souvent des Tours entiers dans la caverne du Logrus. Il se mit alors à l'espionner, et il se rendit compte que Suhuy, au lieu de traverser le Logrus dans sa "longueur", bifurquait à mi-chemin pour se rendre droit vers l'Abîme, sur une étroite plate-forme que personne jusqu'alors n'avait remarqué. C'est là qu'il passait des heures, apparemment en transe. En fait, c'était là uniquement de là que Suhuy pouvait échanger sa conscience d'un monde à l'autre... Varian essaya bien de repasser le Logrus dans l'espoir de pouvoir lui aussi atteindre la plate-forme, qu'il avait surnommé "l'Envol de l'Ame", mais ce fut un échec. Pris par la folie du Logrus, il eut même de la chance de pourvoir en atteindre la sortie "normale" sans être oblitéré. Il conçut alors un plan audacieux. Puisque les Cours du Chaos surplombaient le Puits, puisque le fond de celui-ci donnait dans l'Abîme, et que la Caverne du Logrus y donnait, il devait pouvoir atteindre l'Envol de l'Ame simplement en descendant le long de la paroi, par exemple depuis la Grande Cathédrale du Serpent. Les Plongeurs du Puits ne s'y aventuraient-ils pas quotidiennement ? Il lui suffirait de plonger plus profond. Malheureusement, il avait mal jugé la puissance des forces de l'Abîme, et il y fut happéoe
A cette époque, les trames des neuf Réalités ne savaient pas encore diverger, surtout au niveau des Cours, là où l'influence du Serpent prédomine largement sur celles des Neufs du Cercle. C'est pourquoi les neufs "facettes" de Varian tombèrent-elles presque simultanément dans l'Abîme. Et c'est pourquoi, au lieu d'être éjectés au hasard dans l'une ou l'autre des Réalités, les neufs facettes purent-elles être collectées et regroupées par l'Epeire. Car cette dernière avait besoin d'un agent physique, pour pouvoir mettre en place dans l'Univers ce qu'elle avait déjà réalisé dans l'Univers Mystique, une union des Puissances de la surface de la Forme, une union capable de contrebalancer le pouvoir du Logrus et des neuf Marelles. L'Epeire proposa donc un marché à Varian, similaire à celui des anciens "chamans" des Cours: devenir son agent dans l'Univers Physique en échange du pouvoir qu'elle pourrait lui apporter. Varian, mis face à l'alternative qui consistait à voir sa conscience nouvellement formée brisée en neufs morceaux et éparpillée dans les Réalités, accepta.
Dans les Cours du Chaos de toutes les Réalités, la disparition du dernier héritier du trône, sans qu'on puisse même penser à lui donner un successeur légitime, sa Maison ayant totalement disparu, plongea le royaume dans le désordre le plus total. Aucune trace ne subsistait de lui, et même Suhuy, consulté à titre officieux, ne put donner aucune nouvelle. De fait, son plongeon dans l'abîme avait coupé tous ses liens, et les Atouts n'étaient d'aucun secours pour le localiser si loin, d'autant plus que les Atouts d'une Réalité donnée ne pouvaient plonger dans une autre, alors que Varian appartenait de fait aux neufs simultanément. Alors ce fut la guerre dans les neufs Cours, certaines Maisons tentant de retrouver Varian, d'autres de remettre Suhuy sur le trône, d'autres encore de promouvoir leurs propres membres. Suhuy se trouva tellement débordé à essayer de contenir le désordre dans toutes les Réalités qu'il ne fit en fait qu'empirer les choses. Car ses actions dissymétriques accentuèrent encore les différences entre les Réalités, qui se mirent alors à évoluer de manière presque totalement indépendante. Et finalement, dans chacune des Réalités, un Obéron, profitant du désordre des Cours, créa un Ambre. Et, inversement, cette création d'un pôle stable, qui se trouvait de surcroît être un farouche adversaire, ramena la paix dans les Cours, qui se choisirent chacune un Roi...
Cinquième Eternité (Aleph 1)
Petit à petit, Puissance après Puissance, Varian façonna ce qui devait devenir le Spirial. Chaque Puissance de la frontière devait être abordée par l'Epeire, puis convaincue. Leur intersection devait alors être déterminée dans l'Univers Mystique, puis découverte dans l'Univers Physique, et scellée par un rituel, différent à chaque fois, marquée par le pouvoir grandissant du Spirial, l'Atout d'Argent. Le travail était titanesque et absorba Varian pendant des Eons, dans le temps subjectif des ombres lointaines à la fois de la Marelle et du Logrus. En fait, la Cinquième éternité n'en est une que du point de vue de l'Epeire qui, parcourant la surface mystique de l'extérieur de la Forme, attendait son heure: elle n'avait rien d'autre à faire que de lentement tisser cette toile éthérée et de la rendre plus forte, pour pouvoir peut être un jour confronter ses vieux adversaires.
Car elle n'avait qu'un seul but, la destruction du Logrus et des Marelles, ces carcans rigides qui contraignent la Forme et l'empêchent de s'étendre toujours plus loin. Car si la Forme est contrainte, l'Epeire qui en est l'enveloppe l'est aussi. Et, pour pouvoir continuer d'exister, et d'avoir de l'influence sur l'Univers Physique, l'Epeire avait du faire le choix douloureux d'entériner ses liens avec l'existant. Elle était désormais commise à la destruction des quasi-formules, maintenant qu'elle avait directement lié son sort à des Puissances sous leurs jougs. C'est d'ailleurs seulement ainsi qu'elle avait pu convaincre les autres Puissances, en leur montrant qu'elle faisait sienne leur cause, et qu'en échange de leur soutien elle promettait de n'être libre qu'avec leur propre liberté.
C'est dans la Réalité du Lion (un des Guerriers) que les chroniques de Corwin et de Merlin prennent place.
Dans cette Réalité, Suhuy se fit adopter dans la Maison Sawall par un aïeul de Gramble, et disparut à jamais de la scène politique. Il resta pourtant le Maître du Logrus, un titre qu'il porte toujours. Et c'est aussi dans cette Réalité qu'Obéron, après plus d'un siècle de lutte farouche, réussit à fonder Ambre. Il choisit pour cela une fière montagne, le Kolvir, surplombant la mer, adossée aux Cieux et située sur un ancien volcan (***).
Ce qu'il ignorait, c'était que les Puissances sous l'influence du Lion, étaient divisées en quatre familles, une liée à des Ombres où la Terre était dominante, et de même pour l'Eau, l'Air et le Feu. L'Ombre primordiale, ayant intégré le concept unificateur de la Marelle, se trouvait entre autre sur une Ombre correspondant à la jonction des quatre Familles (d'où le site d'Ambre). Obéron avait choisi la Terre pour créer Ambre, mais les trois autres composants primordiaux des Ombres, Eau, Air et Feu, la jalousèrent, et de cette jalousie naquirent les réflections d'Ambre, Rebma, Tir-na Nog'th et Sol-na Reg'th. Ambre et ses réflections furent également appelées La Marelle de ce qui est, la Marelle de ce qui n'est pas, la Marelle de ce qui pourrait être et la Marelle de ce qui ne pourrait pas être. Deux lieux positifs, deux lieux négatifs, deux lieux de Réalité, deux lieux d'Irréel.
Mis à part quelques guerres contres les habitants des Ombres proches (celles qui devaient devenir le Cercle d'Or) et quelques raids contre les incursions encore timides du Chaos au-delà de la limite définie par Ygg, Obéron n'eut pas de véritables problèmes jusqu'à la Guerre des Spikards. Tout avait commencé par le complot de Gwenned, la première Maîtresse d'Obéron. Gwenned était une puissante métamorphe de la Maison Marall que, au départ, Obéron avait préféré à la Maison Wisternion. Mais Gwenned était inspirée plus par le Lion que par le Serpent. Le Lion lui avait révélé une des faiblesses de la Marelle: son incapacité à résister à des coalitions de Puissances. Gwenned avait donc commencé à réfléchir aux moyens d'utiliser cette faiblesse pour son bénéfice personnel. Elle avait en particulier commencé à prendre des contacts avec les Puissances les plus influentes de la Réalité du Lion...
Elle en avait sélectionné onze, sur des critères qu'elle pensait être strictement personnels, de puissance et d'influence, mais aussi de docilité. En fait, elle avait surtout été guidée par les Puissances elles-mêmes, qui voyaient enfin l'occasion de se rebeller contre les Instruments qui les confinaient. Les onze Puissances sélectionnées étaient: Sablier, Enfant-Soleil, Robe de Nuit, Phénix, Golem, Ouragan, Tsunami, Archange, Démon, Silence et Voix. Elles étaient effectivement influentes et puissantes, mais c'était surtout parce qu'elles étaient les seules à avoir réussi à garder des connexions au-delà des limites de la Réalité du Lion. Et cela, elles le devaient aux Spikards. Et si elles étaient dociles, c'était parce que Gwenned leur semblait être la seule clef capable d'ouvrir les portes de leur prison.
Le plan avait finalement été mis en route lorsqu'Obéron avait fait le choix final de son épouse: Cymnéa plutôt que Gwenned. Cette dernière avait cependant pris ses précautions, stockant à la manière d'une Reine insecte, la semence d'Obéron. C'est pourquoi, elle put, dans le plus grand secret, concevoir une portée de cinq enfants redoutables: Fanglad, Morgienne, Carmin, Dwynon, et Caëlla. Dans le même temps, elle mit en route le plan de scission de la Marelle. Les Onze lui révélèrent alors leur secret: elles avaient déjà tenté ce genre de chose au moment où le Logrus avait relâché sa prise, mais elles étaient insuffisamment préparées, et manquaient d'un lien dans l'Univers Physique. C'est alors qu'avaient été figés les Spikards. A ces derniers manquait une véritable conscience, et ils avaient été incapables de remplir correctement leur rôle unificateur, qui aurait permis à plusieurs faisceaux de Puissances de secouer définitivement le joug de la Marelle, puis celui du Logrus. Gwenned devait donc s'en charger. Et il fallait pour cela donner tout leur pouvoir aux Spikards.
Gwenned commença donc les rituels seule, puis se fit aider par ses enfants. Chacun de ceux-ci reçut donc deux Spikards "opposés": Enfant-Soleil et Robe de Nuit pour Morgienne, (préférée de sa mère Gwenned parce qu'elle était une fille et lui rappelait donc moins Obéron que Fanglad), Golem et Ouragan pour Fanglad, Phénix et Tsunami pour Carmin, Archange et Démon pour Dwynon et enfin Silence et Voix pour Caëlla. Le but de cette répartition était de pourvoir agir sur une des Puissances en maîtrisant son "opposé" de manière à ce qu'il n'interfère pas, puis à faire la réciproque. Gwenned, quant à elle, garda le plus puissant des Spikards car ne possédant pas d'opposé: Sablier. Petit à petit, ils enchantèrent les Spikards dans les Ombres portées par les Puissances correspondant aux Spikards, ce qui créait les connexions enchantées de ceux-ci. En contrepartie, les Puissances dont les intersections avec les Onze formaient les Ombres en question s'ajoutaient peu à peu au faisceau correspondant. Le processus ne put être correctement établi pour les Puissances liées aux Spikards mais situées dans d'autres Réalités.
Tout se déroula bien, même si les préparatifs furent fort longs. Entre-temps, en Ambre, Bénédict, Osric et Finndo étaient nés et avaient commencé à grandir et à tester leur pouvoir sur les Ombres. Et ce fut là que, à la suite d'une rencontre fortuite, les plans habilement ourdis par Gwenned reçurent leurs premiers grains de sable. Car Morgienne et Bénédict, tous deux intéressés par Ygg, se retrouvèrent un jour sous ses immenses branches.
[Rebellion des premiers nés, Guerre des Spikards ***]
[Guerre des Reflets: Obéron conquiert Sol-na Reg'th ***]
Pendant les Chroniques
Lorsqu'Obéron tenta la réparation de la Marelle Primaire, des Fantômes de lui-même furent automatiquement générés sur chacune des Marelles Elémentaires. Le temps fut suspendu dans quasiment toutes les Ombres. Ce fut alors que Brand tenta de prendre le contrôle simultanément du Logrus et de la Marelle. Profitant de la faiblesse de cette dernière, il tenta d'intégrer le contrôle qu'il avait sur les deux, d'intégrer les deux visions des yeux du Serpent. Il avait déjà dérobé à Suhuy l'Orbe du Chaos et s'en était servi pour faire le premier tiers du travail, qui consistait à utiliser directement la Marelle sur le Logrus et inversement. Les Ombres étant discrètes, il avait ainsi créé des Marelles légèrement brûlées par le Chaos et des Logrus légèrement gelés par la Loi. C'était tout ce qu'il pouvait accomplir sans le Joyau du Jugement, qui restait nécessaire pour intégrer les deux visions, c'est à dire décliner encore plus les "reflets déformés" jusqu'à ce que les deux lignes se rejoignent. Il n'aurait alors plus eu qu'à forcer la remontée de cette intégration vers les deux pôles en utilisant l'Orbet et le Joyau, et le tour aurait été joué.
Mais il lui fallait encore récupérer le Joyau. Il laissa tout en plan et partit pour ne plus revenir...
Obéron était sur le point de réussir lorsque Spassinando tua le Fantôme de la Marelle de la Terre. Le contrecoup fut fatal a Obéron, qui réussit néanmoins à terminer son travail en déséquilibrant les énergies. Ce fut ce phénomène qui le tua lorsque, épuisé, il les laissa se rééquilibrer après avoir atteint le bout. C'est alors qu'il prononça son ultime bénédiction à l'égard de ses enfants, et son ultime malédiction à l'égard de celui qui l'avait frappé en traître. Tout son altruisme avait été dépensé dans la sauvegarde du Royaume et dans la Bénédiction. La Malédiction fut donc beaucoup plus égoïste: "Je te tuerais malgré tout de mes propres mains...". Les Ondes entre le Logrus et la Marelle avaient été interrompues pendant un long moment (d'où l'inopérance des Atouts pendant toute la réparation). La vague de Chaos en retour fut immense: elle correspondait en fait au nouveau contrôle de la Marelle réparée, qui en profitait pour chasser la part de Chaos apportée par les Ondes. Lorsque Corwin la vit arriver, au lieu de la prendre comme un signe d'espoir, il crut que la Marelle était belle et bien détruite. Et, dans un Ombre où le Chaos s'était affaibli en se lançant à la conquête des Ombres de la Marelle (et où il n'avait pas encore récupéré sa puissance chassée par la Marelle), dans une Ombre où la Marelle n'avait pas encore le moindre du monde réaffirmé son contrôle, Alors que le Spirial était encore trop mal implanté dans cette Réalité, Corwin put réunir suffisamment d'énergie pour tracer sa propre Marelle...
Il n'y eut pas de réflexe cosmique pour en empêcher le traçage, toutes les forces du Chaos ayant été concentrées pour empêcher la réparation de la Marelle originelle. Mais cette intervention eut un autre effet inattendu. Le contrôle grandissant de cette nouvelle Marelle força l'autre Marelle et le Logrus a raffermir leur contrôle sur leurs propres Locus. Et, ce faisant, ils entérinèrent la présence des Marelles Brûlées et des Logrus Gelés.
Une fois la tempête passée, Suhuy put enfin récupérer l'Orbe du Chaos. Mais le Serpent avait été aveugle pendant un long moment. Swayvill VI avait du compenser en donnant de sa propre énergie pour maintenir le Lion en place sous le contrôle du Serpent qui ne le voyait plus, ce qui finit par lui être fatal quelques années plus tard.